Miles Hyman, l’ami américain.

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La première fois que je vis Miles Hyman, il était fin soûl dans une Rolls Royce Silver Wraight devant la terrasse des Dancers.
Je recommence. La première fois que je vis Miles Hyman, il tentait de garder son verre en équilibre, au centre d’une mêlée avinée devant une galerie, rue de Lappe. Henri, notre futur éditeur, agitait des Pina Colada en chantant Guantanamera pendant que je hurlais « C’est toi, Miles ? » à l’ami américain. Il confirma du geste et proposa qu’on se téléphone, c’était plus sûr.
La seconde fois, nous étions attablés dans un bistrot des Halles et déchirions avec enthousiasme des hamburgers. Il sirotait un Coca, et moi je sifflais une 1664.
La troisième fois, il prit son courage à deux mains et parvint jusqu’à mon nid d’aigle du quartier Montorgueil. La température était sérieuse car j’habite sous les toits. Sur le coup de minuit, je me penchai vers lui et bafouillai : « Alors, Miles, on le fait, ce livre ? »
C’est un américain très poli. Avec plaisir, confia-t-il.

Après ces différentes entrées en matière, nous avons commencé à parler de choses sérieuses : le blé du Vermont, les collines boisées et le vent qui fuse entre les arbres, nos souvenirs de Woodstock, le génie de Guy Pellaert, la chorale dans laquelle Miles malmenait ses cordes vocales, les magazines de base-ball gérés par son père, les rois de la gonflette à Venice, les stars énamourées du Chinese Théâtre et aussi son premier livre signé Milo Dax. Il y renvoyait le dialoguiste des Tontons Flingueurs à ses chères études, maniant l’argot des fortifs avec la grâce d’un apache de la Boule d’Or.
Je lui confiai d’emblé que je haïssais l’avion mais que j’adorais les trains et la langueur ferroviaire. Il me parla des gares et de Grand Central que je ne connaîtrai jamais. Etienne Robial s’en mêla et déclara qu’il éditerait le livre, que nous pourrions concevoir, sur les gares mythiques de notre monde obscur et dangereux.
Miles était formidable : il parlait parfaitement anglais et prenait l’avion. Il s’expédia donc à New York, à Berlin et à Londres où St. Pancrace n’était pas encore la destination branchée des français en goguette.
Parfois, il prenait des photos et rentrait avec des planche-contacts que je décryptais avidemment. Je ne sais trop comment je m’y pris mais je parvins à rédiger mes nouvelles. Lui, traversait une phase intense consacrée au noir duveteux. Celui du fusain et de la pierre noire. Il caracola ainsi de salle d’attente en salle des pas perdus et fit naître des images qui m’accompagnent depuis 25 ans.
Notre livre paru, il plongea avec délectation dans la couleur et les couches et sous-couches au pastel qui ont fait sa réputation. Puis il inventa les couvertures de la collection du Poulpe, dessina des illustrations pour les quotidiens comme pour la littérature destinée aux juniors.
En 1998, par un mercredi ensoleillé, je lui parlai de Pigalle. C’était un mercredi car les bonnes choses m’arrivent, curieusement, le mercredi. Il avait exposé quelques pastels sur ce quartier et je lui proposai de grossir le sujet et d’en faire un livre. Cette fois-ci, je décidai de me documenter en personne. Un seul changement de métro pour parvenir à Pigalle, c’était dans mes cordes. De son côté, il plongea dans le pourpre des moleskines, les carreaux de faïence des douches et bains publics, les vitrines qui hurlent No Language Problems, les sex-shop marécageuses, les bars de nuit pour unijambistes et les tapis de billard du carrefour de Clichy.
Henri, que nous avions laissé rue de Lappe, en compagnie de ses Pina Colada, s’offrit à publier le livre.
Parfois, je retrouvais Miles dans son petit atelier de la rue Campagne Première. J’avais le sentiment de renouer avec la légende des créateurs de la Grande Chaumière en zigzaguant dans les couloirs labyrinthiques de l’immeuble. Je restais en alerte : Gauguin ou Zadkine pouvaient surgir sous mon nez à un croisement.

C’est l’année suivante que Miles me parla de Shirley Jackson. « Ma grand-mère écrivait des livres sur les maisons hantées », disait-il.
J’avais tremblé en dévorant Nous avons toujours habité le château et le souvenir du film de Robert Wise était bien présent dans ma tête. Miles décida un beau jour de s’occuper des traductions des livres de Shirley. Il mit en images une édition de ses poèmes et travaille actuellement à illustrer une de ses nouvelles. C’est un garçon qui possède le sens de la famille.
Le temps passa et, aujourd’hui, nos enfants nous mangeraient volontiers sur la tête. Mais je l’imagine à Meudon, la fenêtre ouverte, penché sur sa table à dessin et l’oreille tendue à l’écoute des pépiements d’oiseaux. Tiens, je vais l’appeler, j’ai une idée de livre à lui soumettre. Je reviens de suite.

Voilà, il était chez lui et nous sommes convenus de nous retrouver un midi Chez Fernand à Montparnasse. Car Miles apprécie Montparnasse qui renvoie à des gens de qualité tels Soutine ou Modigliani. Il affectionne les serveurs de Chez Fernand, sanglés dans leurs grands tabliers. Ah, il aime aussi les œufs durs sur le zinc, la salière en verre et le percolateur à bière nickelé. Toutes ces images de la vie, de la fiction aussi, figurent dans ses dessins avec les jeunes filles en fleur sur les collines du Vermont, les mafieux ratissant Rodeo Drive et les starlettes égarées sur Cahuenga Boulevard. On pourrait ajouter un saxophoniste black au Savoy Ballroom et des chiens fous dans les granges du Maine.
C’est son univers. Noir, d’accord, mais en regardant bien, on perçoit la couleur qui ne demande qu’à jaillir au grand jour.

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